Ce dimanche matin est radieux. Dès l'aube sur la grande avenue du 8 Novembre des groupes d'anciens combattants, rangées de médailles accrochées au veston, drapeaux roulés dans leurs étuis de toile cirée, se réunissent à la porte de leur local. A 9 heures, les quartiers populaires sont en effervescence. Les tracts répandus par milliers appellent à la manifestation confirmée par des voitures à haut-parleurs et par le défilé des U.T. qui cognent de la crosse contre les portes des appartements de Bab-el-Oued.
« Allez, debout là-dedans, le grand jour est arrivé. »
Tout se déroule dans la bonne humeur. On va refaire le 13 Mai. Et montrer à Paris de quel bois on se chauffe. Les gardiens de la paix regardent ces préparatifs avec satisfaction. Ce n'est pas la police d'Alger qui va mettre des bâtons dans les roues à une manifestation patriotique.
Tout va mal pour le colonel Fonde qui apprend les mêmes nouvelles. La grève générale est observée. Magasins, bistrots, cinémas sont fermés. Des rassemblements se forment à l'intérieur de la ville.
Le capitaine Léger a refusé de participer au maintien de l'ordre avec ses Algériens. Ce qui était la moindre des prudences. Mais avec sa jeep il parcourt Alger. Il voit ses copains en barrage en travers de la place Jean-Mermoz, au pied de la caserne Pélissier. Soixante mètres de large mais, derrière, le vide complet. Et devant, cette masse compacte au coude à coude précédée de drapeaux. Et il rigole, Léger ! Ça va pas tenir longtemps ! Et, en effet, ça ne tient pas. Les paras à casquette à longue visière, les héros de la bataille d'Alger, les hommes dé l'ex-régiment de Bigeard, les préférés de la Ville blanche, ceux qui, après chaque opération, viennent y retrouver leurs petites amies, ne peuvent contenir cette foule qui avance, drapeau tricolore en tête, criant Algérie française. D'autant qu'aucun des colonels des trois régiments n'a jugé bon de renforcer le faible barrage humain par ses camions jaune sable et par les chevaux de frise qu'on avait si bien su employer en 1957 dans toute la ville. Et la foule avance, fraternelle, amicale. On se retrouve au contact des filles qu'on connaît et qui vont tout comme au 13 Mai jouer un grand rôle. Les organisateurs de la manifestation ne les ont pas négligées. Et le barrage disparaît, englué, noyé, embrassé, cajolé. On rigole. Et puis on ne va pas tirer sur des Français qui défendent les mêmes idées, qui veulent faire revenir de Gaulle sur une autodétermination inacceptable. Au nord et à l'est de la ville, la .même scène se renouvelle. Et, pacifiques, les cortèges parviennent sur le plateau des Glières.